Aelys • Terminé ²

Habillée tout en noir, c'était la première fois que j'étais triste de porter cette couleur qui est pourtant ma préférée. Je mordais l'intérieur de la joue. Je ne devais pas pleurer. Je regardais la photographie. Des rides marquaient son visage souriant. Le plus beau visage que j'avais jamais vu. Elle avait été enterré "à la japonaise". Mais si nous commencions par le début ?

Au début j'étais trop maladroite pour satisfaire qui que ce soit. Je ne comptais plus depuis longtemps les assiettes, les verres et les vases que j'avais brisé par mégarde. Ce souvenir m'arracha un sourire nostalgique. Je pense que je devais avoir aux alentours des cinq ans. N'ayant pas d'aile, contrairement à d'autres corbeaux, j'avais un peu moins d'intérêt et de valeur. Certains me choisissait tout de même, mais jamais pour des missions bien excitantes. La plupart du temps je servais de femme de ménage.

Puis un jour ce fut le tour d'une femme entre deux âges de m'acheter. Elle devait avoir... Peut être la cinquantaine. J'en avais aux alentours de dix je crois. Ses cheveux grisonnant formaient une touffe bouclée réunis en chignon sur le sommet de son crâne. Fine, mais les mains tremblantes, elle avait tout d'une grand-mère qui avait tendance à trop couver ses petits-enfants.

Seulement, elle n'en avait pas. Alors quand elle m'avait vu au marché noir où j'étais, à un prix abordable, elle n'avait pas hésité un seul instant à m'acheter.

Les premiers jours étaient difficiles. Elle refusait de me laisser travailler. Alors je restais assise toute la journée, me demandant ce que je pouvais bien faire d'autre. Alors elle me faisait l'école à la maison. Bien sûr ce n'était que des connaissances basiques.

La tête allongée sur ses genoux, elle me racontait les histoires de sa jeunesse. Comment son mari et elle se sont rencontrés. Comment elle a apprit qu'elle était incapable d'avoir d'enfant. Comment elle n'avait jamais désespéré jusqu'à ce que, quelques année auparavant, son mari décède dans un accident. La solitude qu'elle avait ressentit à ce moment là, son désespoir et sa tristesse. Rien de sa vie ne m'était plus inconnu.

Et les secondes défilaient. Puis les mois et les années. La crise d'adolescence, nos disputes stupides. Rien de plus qu'une "mère" qui s'inquiète pour son "enfant". Mes stupides idées de tatouages et le regard amusé qu'elle me lançait à chaque fois qu'elle découvrait ma dernière frasque en date. Un faux air sévère sur son visage, elle me réprimandait gentiment.

Quand un soir je suis rentrée d'une de mes promenades nocturnes et que je l'ai retrouvé allongé, inconsciente au sol, j'avais l'impression que c'était mon monde qui s'effondrait. Seulement ce n'était pas le mien, mais le sien.

Les mains tremblantes je composais le numéro des urgences sur ce stupide téléphone portable qu'elle m'avait offert pour mon vingtième anniversaire alors que je n'avais aucun ami. Elle était le seul numéro enregistré dans mon répertoire au même titre qu'elle a toujours été la seule à avoir sa place dans mon cœur.

Dans la salle d'attente le médecin vint me voir. Il semblait un peu ennuyé par ma présence, mais n'en dit rien. C'était un cancer. Des résultats plus poussés annonceront plus tard qu'il était trop avancé pour le soigner. Je lui rendais visite tout les jours. En réalité j'étais là aussi souvent que faire se peut. Du début des visites jusqu'à la fin.

Je ne pleurai jamais devant elle. Je lui racontais des blagues stupides auxquelles elle souriait mollement. De temps en temps elle me caressait la joue, puis laissait retomber sa main sur le lit, épuisée. J'avais peur qu'un jour vienne elle ne puisse plus jamais la relever.

Une fois rentré chez "nous", je m'allongeais sur le canapé et je regardais le plafond. Je n'arrivais pas à réaliser. Il y avait moins d'un mois, elle était là, sous ma tête et me caressait les cheveux en me racontant pour la énième fois ses histoires de jeunesse. Je laissai sortir de temps à autre un cri de tristesse et de désespoir. La mort me faisait peur, comme beaucoup d'autre. Mais sa mort à elle me terrifiait à un tout autre niveau. Je serai toujours là pour remarqué son absence.

Puis un jour elle ne releva plus sa main vers ma joue. Elle ne caressa plus mes plumes. Elle ne tortilla plus son doigt autour d'une de mes mèches de cheveux. Elle ne respira tout simplement plus. La gorge serrée, agrippée à sa main, je la regardais partir, les larmes coulant le long de mes joues, impuissante.

Le retour à la boutique fut plus dur que jamais. Je ne me suis pas arrêtée de vivre pour autant, mais je ne faisais aucun effort pour me vendre. Le gérant était exaspéré par mon attitude. Aussi il me permit de faire mon dernier adieu à mon ancienne maîtresse, à condition que je fasse des efforts par la suite.

Vint le jour de son enterrement et donc au début du commencement. Il n'y avait personne à part moi. Elle avait mit de l'argent de côté pour pouvoir payé ses funérailles. Peut-être le savait-elle déjà ? Je souriais, pressant mon pouce et mon index contre mes yeux, écrasant les larmes qui coulaient malgré moi.

Bientôt je serai vendu de nouveau et je devrais continuer de vivre. D'une façon ou d'une autre j'y arriverai, puisqu'il le faut.

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