7 ans Papa, je ne le vois jamais. Maman me dit que c’est parce qu’il a beaucoup de boulot. Quelque fois, le soir, quand il est très tard et que maman veut bien que je me couche plus tard, je peux voir papa. Un jour alors que je n’en avais pas le droit, j’ai veillé plus tard pour lui faire la surprise. Je me suis couché dans mon lit et j’ai attendu d’entendre la grande porte de la maison s’ouvrir. J’étais sûr qu’il serait content de me voir alors que ce n’était pas prévu, mon papa. J’ai couru dans les escaliers pour descendre alors que ça aussi, c’était interdis. J’ai entendu ma maman discuté avec lui dans la cuisine. Je me suis approché doucement. J’entendais bien mieux maintenant que j’étais si près. Ma maman, je crois qu’elle pleurait. Alors je n’ai pas voulu entrer tout de suite parce que je n’aime pas voir maman pleuré. Puis j’ai entendu mon papa dire que jamais il n’aurait voulu de fils. Alors moi aussi, je me suis mis à pleurer. Moi je l’aimais mon papa. Même s’il n’était jamais là. Mais lui, il ne m’a jamais vraiment aimé…
16 ans.… et il ne m’aima jamais bien plus. J’étais un fardeau. Une charge pour cet homme qui semblait être mon père. Combien de fois ais-je entendu ces mots sortir de sa bouche. « Tu n’es qu’un incapable, mon fils. Indigne de ton père et de ta famille. » Pourtant ma mère semblait croire à une relation possible entre nous deux. Espoir absolument pitoyable de sa part. Rien d’autre qu’une haine violente n’était possible. Je n’ai jamais compris l’amour que portait ma mère envers mon père. En réalité, je ne comprends pas ma mère d’une manière générale. Par ailleurs, il me semble que c’est le cas avec beaucoup de monde de mon entourage. Les sentiments sont quelques choses de difficiles à cerner pour moi.
- Mon fils, nous partons à la chasse aujourd’hui.
Encore une des tentatives de ma mère pour nous rapprocher, sans doute.
- Mon père, je vous l’ai déjà dit. J’ai horreur de la chasse.
Je me demande encore comment se rapprochement est possible puisque mon père m’oblige à le vouvoyer. Personnellement, je crois que cela ne me dérange pas. Mon père est un véritable étranger pour moi.
- Bon dieu, ta faiblesse m’écœure, fils.
Je serre les dents douloureusement. S’il y a un terme que je déteste le plus sortant de sa bouche, c’est bien celui-là. La faiblesse me répugne bien autant que lui. Je crois qu’il l’a suffisamment compris pour m’attaquer le plus souvent possible avec. Et j’ai beau me dire qu’il ne s’agit d’une façon de plus pour m’agacer, je ne parviens pas à retenir ma haine avec ce terme.
- Quand t’arrêteras-tu de me faire honte Damon ? Allons-y. Nous nous entrainerons sur des mannequins si tu n’es pas capable d’autre chose.
Bien que ce soit un immense mystère pour moi, il semblerait bien que mon père puisse éprouver de l’amour. S’il tient tant à m’emmener, c’est pour le simple plaisir de ma mère. Je m’en passerais avec plaisir, mais je n’ai jamais vraiment eu le choix.
***
Je lève mon arme sur la cible. Le champ est immense. Nous sommes seuls. Mon père, moi et face à nous ce mannequin. Bien évidemment, mon père l’a placé bien assez loin pour augmenter ses chances de victoire. Mes mains empoignent plus fermement le fusil. Je peux le faire. Ce n’est pas impossible. Je peux le faire…
Un long silence s’installe sur la plaine. J’oriente le canon sur la tête. Le soleil m’assaille pendant une demie seconde alors que mon doigt glisse sur la gâchette. Le coup résonne. Un nuage vient me sauver de l’aveuglement. La balle a bien touché la cible mais pas en pleine tête.
- L’épaule.
Mon père me regarde avec des yeux lourds de reproche.
- Je vous ferais remarquer que même à cet endroit, l’animal serait à terre.
- Sauf qu’il s’agit d’un mannequin. Et un mannequin immobile. Si cela avait été un animal, tu l’aurais loupé.
Mais bien sur. Et si cela avait été vous, mon cher paternel, vous pouvez être sûr que je ne vous aurais pas loupé.
- Rentrons. J’en ai assez vu pour aujourd’hui. Je me demande bien quel genre d’idée peut passer dans la tête de ta mère. Sans elle pour te défendre, cela ferrait bien longtemps que je t’aurais corrigé.
En fait, il semblerait que ce soit lui l’homme accablé par la faiblesse. Soumis à l’amour.
18 ansC’est un sentiment qui m’a toujours suivi depuis. Plus je l’observais, plus je voyais un homme faible et répugnant. Pourtant à mes dix-huit alors que je m’apprêtais à partir du « cocon familial » pour aller m'installer à Londres, ma mère est venue vers moi. Elle tenait ma dernière valise. Ses yeux étaient légèrement humides mais un sourire fier étirait ses lèvres.
- Tu vas me manquer chéri…
- Toi aussi maman.
Je vivais mes derniers jours au Danemark. Je ne pense pas y revenir. Ma mère l'a sans doute compris.
Elle me regarda un long instant et finit par me dire cette phrase qui me marqua pendant des années.
- Je n’ai peut être pas réussi à vous rapprochez toi et ton père mais en vous regardant bien tous les deux, vous vous ressemblez de manière déroutante.
Sa main passa le long de ma joue.
- Oui après tout, tu es comme lui. J’espère seulement que tu trouveras une personne capable de te contrôler mon fils…
Me contrôler… Me contrôler… Parlait-elle de la soumission qui accable tant mon père ? Si c’est le cas, je souhaite tout sauf ça. Je suis un être libre. Mes actions ne peuvent être contrôlées par une chose aussi ridicule que l’amour.
***
Ecole Supérieur d’Arts appliqués
J’observe la façade qui s’offre à moi. Mes yeux parcourent les moindres détails du bâtiment. Un sourire étire mes lèvres. L’architecte qui a élaboré ces plans est un véritable génie. C’est absolument magnifique.
Je franchis le seuil. Je me sens bien mieux ici. Chaque parcelle résonne avec art et précision. Tout ce que j’aime. Oui j’aime vraiment cet endroit.
***
Bulletin 3ème trimestre en Arts appliqués[…]
Observation :
« Elève appliqué et très perfectionniste. Sa carrière artistique est prometteuse. En revanche son caractère à tendance violente pourrait lui porter préjudice. »
Tiens donc… Caractère violent, mh ? Mes yeux se lèvent sur Shirley. Est-ce à cause d’elle ? Ma nouvelle acquisition me suscite quelques réactions peu retenues. J’ai peut être manqué de discrétion dans les couloirs. Ou peut être est-ce dû à mes réponses quelques fois vulgaire que je peux avoir à l’intention des professeurs. Malgré tout, il me semblait bien que cela m’arrivait que très peu souvent. Ils en rajoutent, j’imagine.
Je ferme le dossier avec un soupir. Au moins il n’est pas mauvais.
Je descends du lit et pose le dossier sur le bureau. Shirley lève les yeux et les tiens fixés sur moi.
- Sais-tu qu’il est malpoli de dévisager une personne de la sorte ?
Ses joues s’empourprent alors que son regard vient vivement fixer ses pieds.
- Excusez-moi monsieur…
Elle n’est pas encore tout à fait dressée mais nous n’en sommes pas loin. C’est déjà bien mieux qu’à son arrivé. Shirley est un cadeau de ma mère. Depuis que mon père ne me verse plus d’argent, elle a insisté pour au moins me faire un présent. Sauf qu’elle a sans doute oublié une chose. S’occuper d’un hybride, ça coûte cher.
Je la regarde un instant puis me désintéresse pour prendre ma veste.
- J’ai un rendez-vous. Je reviens ce soir, j’aimerais trouver la pièce rangée.
- Bien sur…
Ses yeux fixent toujours obstinément le sol. Je lui fais peur, je pense.
J’attrape les clés et part en direction du café situé en centre ville. Un soupir traverse mes lèvres à mon arrivé. Il m’avait dit 15h00. Et il n’est toujours pas là. Il sait pourtant que je ne supporte pas ça, les retards. Je grommelle quelques injures en danois et m’assied à une table. Il met quelques minutes avant d’arriver.
- Tu es en retard.
- Je sais Damon, désolé, mon bus n’est pas passé à l’heure.
Rares sont les personnes à qui j’octroie le nom d’ami. Je suppose qu’Elliot peut en faire partir. Même si quelques uns de ses actes peuvent m’agacer.
Il s’assied face à moi et commande deux cafés.
- Alors, explique-moi.
- Tu n’es vraiment pas patient…
- Elliott, tu m’as fait venir ici en m’assurant que tu avais un projet qui m’intéresserait. Je ne suis pas venu ici pour manger des pâtisseries et parler du dernier match alors maintenant dis moi. C’est quoi ce projet ?
Il lâche un soupir exaspéré. Son dos s’adosse contre sa chaise pour être plus à l’aise.
- Trafic d’hybride.
- Pardon ?
- Tu as bien entendu.
- C’est interdis, Eliott.
- Evidemment mais réfléchis-y deux minutes. Ton père ne te verse plus une livre, tu as à peine de quoi te payer tes études avec tes économies. C’est le meilleur moyen pour qu’on se fasse de l’argent !
Je le regarde un long moment. Il est complètement fou. Si on se faisait prendre, on risque vraiment gros. Malgré tout, il a touché un point sensible. Je n’ai pas de quoi me payer ma prochaine année d’étude.
- Et pourquoi moi ?
- Tu as les bons contacts.
- Ma famille a les bons contacts, c’est différent.
- C’est la même chose Damon ! Ecoute, je sais que tu es le type parfait pour ça. Ensemble, on peut vraiment allez loin.
- Il faut que j’y réfléchisse mais merci de me l’avoir proposé.
21 ansEn prenant du recul, j’ai vraiment mis peu de temps pour y réfléchir. J’avais besoin de cet argent. Et Eliott avait sans doute raison. Je savais parfaitement comment procédé pour que tout marche. Je ne regrette pas ce choix. Ce trafic a fait ma fortune. Elliott avait vu juste.
Le marteau en bois du juge me sortit de mes pensées.
- S’il vous plait ! Un peu de silence !
- Cet homme est un monstre !
- Maître Kayne, s’il vous plait !
J’observe la salle se taire sous la demande du juge. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. Malgré les quelques preuves contre moi, je sais ma victoire proche.
- Rappelons les accusations faîtes à l’encontre de Monsieur Drake.
Mes yeux se tournent vers l’homme assis à la droite du président qui se lève pour répéter une fois de plus les fautes que j’ai soi-disant commis.
- Monsieur Drake, ici présent, est accusé de violence envers les hybrides qu’il a en sa possession. Il est également accusé de trafique d’hybrides.
Tout ce qu’il dit est absolument vrai bien que je reste juste envers mes hybrides. S’ils sont dociles, je leur offre tout le luxe que je possède et leur vie devient plus que plaisante. Par contre, s’ils font de la résistance, c’est la que je deviens plus… dur disons. Mais, malheureusement, les quelques lois existantes m’interdisent apparemment ce genre d’agissement. Que dommage. Ils ne comprennent pas le grand intérêt de ces méthodes. Pourtant ils pourraient gagner tant à faire de même…
- Je donne la parole à l’avocat de la partie civile.
L’homme s’avance vers moi. Malgré son implication, il ne pourra jamais gagner. Je suis bien trop fort pour lui. Chaque millimètre de ce procès a été préparé. Je sais contrer chacune de ses attaques, chacune de ses preuves. Sa défaite est évidente.
Et c’est évidemment de cette manière que cela se déroule. Les heures sont longues. Je commence à m’ennuyer profondément. Finalement, après de longs moments d’attente, le verdict tombe enfin.
- La cour déclare Mr Drake non coupable.
Je m’affale légèrement sur ma chaise avec un soupir de contentement. C’est toujours agréable, la victoire. Elle a un goût divin. Mes yeux se dirigent vers Monsieur Drake. Le pauvre homme semble décontenancé. Il est bien trop jeune. Il pense que la vie est simple et évidente. Je me lève et vient lui serrer la main bien que –étonnamment- il ne semble pas vraiment apprécier ma présence.
Je garde un moment sa main dans la mienne et me penche légèrement à son oreille.
- Sachez que je gagne toujours Monsieur Kayne.
Le petit lève ses yeux glacials vers moi. Ses dents se serrent douloureusement.
- Jamais est un terme très prétentieux Monsieur Drake. Je ne m’avoue pas vaincu.
Je lui lâche la main, le sourire squattant mes lèvres.
- Vous me plaisez, finalement. Je vous dis à bientôt alors.
30 ansCa fait si longtemps que j’attends cela. Le parcours a été long mais nous y sommes enfin. Des années passées à étudier, des années à lécher les pompes du directeur de cette école. Je sais que ce n’est pas mon genre. Mais j’ai eu un tel coup de cœur en voyant cette école. Cette envie d’être à sa tête m’est apparue dès le premier jour et enfin c’est arrivé.
***
- Mon cher Damon…
Je suis installé face au directeur de l’école, dans son immense bureau. Combien d’heure ais-je passé là à l’écouter ? J’ai étudié chacune des facettes de son comportement pour être la personne qu’il apprécierait. Sans vouloir me vanter, je pense y être parvenu.
- Ca fait combien d’années maintenant que tu traines dans mes couloirs, mh ? 10 ans ? Plus ?
- 12 ans monsieur.
- 12 ans… Et ses nombreuses années que tu as passé à me seconder. Tu as été d’une réelle aide, tu sais ?
- Je l’ai fait avec plaisir, monsieur.
- Je sais bien… Et maintenant, je suis sûr la fin de ma dernière année. Même si ça me fait mal, je vais devoir laisser cette école à d’autre. Je pensais aller m’installer en Hollande.
- C’est un beau pays.
- Oui… Plutôt tranquille…
Il se tourne vers la fenêtre qui donne sur la cour de l’école. Je connais cette expression. Il est triste à l’idée de devoir partir. Je n’arrive pas à l’être même si j’essaye de le faire paraître. Son départ traduit mon arrivée. Cela me réjouis plus qu’autre chose.
- J’imagine que tu sais pourquoi tu es ici.
Il me fait face à nouveau. Je ne lui réponds pas. Evidemment que je le sais. Mais je pense qu’il serait mal poli de lui indiquer.
- J’aimerais que tu me succèdes Damon.
- Ce serait un réel honneur monsieur.
Un sourire dessine légèrement mes lèvres. Mais si elle ne se ressent que très peu, ma joie n’a jamais été plus forte qu’à cet instant. J’y suis arrivé finalement.
- Tu es la personne parfaite pour ce poste. Je sais que tu y parviendras…
- Je saurais m’en occuper monsieur. Je vous en fais la promesse.
- Je n’en doute pas Damon…
Nous nous levons tout deux. Il contourne son bureau et geste auquel je ne m’attendais pas, il me prend dans ses bras. Je souris légèrement et lui rend son étreinte. Malgré le but que je visais, je pense que j’ai fini par vraiment apprécier cet homme. Il m’a dont offert la chose dont je rêvais. Directeur de cette école d’Art. Celle qui m’a offert une seconde vie.