Vanille - Douces attentions, cruelles intentions [Terminé]

Six heures moins le quart. La cloche annonçant le réveil résonne dans couloir, emplissant toutes les chambres du dortoir de son timbre aigü. La pièce est encore calme, les hybrides y paressant encore sous l’emprise du sommeil. Les plus responsables bâillent et s’étirent sous leurs draps, conscientes qu’il leur faudra être aux douches dans les prochaines quinze minutes si elles voulaient encore pouvoir se laver sous de l’eau chaude. Quelqu’un se lève et tire les rideaux, sous les protestations faibles de certaines. Le soleil n’est pas encore tout à fait levé, mais quelques maigres rayons se réverbèrent tout de même sur la fenêtre. La porte s’ouvre. Plusieurs hybrides en sortent et se dirigent vers les douches communes. Un nouveau timbre sonore se fait entendre du couloir. Vanille ronfle. Personne ne la réveille.

Sept heures vingt. On repousse le drap recouvrant l’hybride d’un coup sec. Les yeux mordores de la jeune fille s’ouvrent brusquement sous la surprise, puis se referment soudainement. Le soleil pénètre dans le dortoir et l’environnement est trop lumineux pour elle, désormais. Une voix sèche lui ordonne de se lever immédiatement. Vanille proteste, fait la moue. Elle se cache les yeux avec ses cheveux en broussailles, ses oreilles se couchant sur son crâne dans un effort d’échapper aux cris de l’humaine qui exige qu’elle sorte du lit. Une main froide lui saisit le poignet et extirpe l’hybride de son nid, de force. La différence de température fait frissonner la jeune fille. Vanille subit le sermon de l’humaine sans broncher, la tête baissée, les yeux mi-clos. Elle espère ne pas écoper d’une punition pour ne pas s’être réveillée à temps. Des pénitences, elle en avait amassé, au fil des années, depuis qu’on l’avait arraché aux bras de sa mère pour la placer dans cet établissement. L’humaine lui ordonne de s’habiller et de se rendre à la cantine sur le champ. Elle n’aura pas le temps de prendre de douche ce matin. Elle essaie de protester mais on lui ferme la bouche d’une remarque acerbe.

Sept heures trente-cinq. Assise à côté d’autres hybrides de son âge, toutes vêtues de l’uniforme portant leur numéro d’identification personnel, Vanille se force à avaler le petit-déjeuner qu’on lui a servi. Il n’est ni mauvais, ni particulièrement bon. La nourriture, dans cet élevage, ne servait qu’à tenir les hybrides en vie, à leur donner assez de nutriments et de vitamines pour qu’ils demeurent en santé afin de les vendre à prix fort plus tard. Le goût n’avait jamais été une priorité. Les hybrides, sans être forcés au silence, échangent à voix basse à la place de discuter vivement, car la plupart sont encore légèrement ensommeillés. Vanille avait grandi avec la plupart d’entre eux, appelait même ami une poignée d’hybrides. Mais la jeune fille ne se fait pas d’illusions; s’attacher à quiconque évoluant avec elle entre ces quatre murs ne serait cause que de sanglots plus tard. Les instituteurs en charge des cours leur avaient sans cesse rappelé cette notion, des années auparavant, alors qu’elle et ses semblables apprenaient à lire. Alors qu’elle porte une bouchée de son repas à ses lèvres, ses yeux s’attardent sur la silhouette mince d’un hybride ne portant pas l’uniforme. Un nouveau. Vanille se compte chanceuse d’avoir été entièrement élevée au sein de l’établissement. Les nouveaux ne parviennent que très rarement à s’intégrer, la plupart de leurs camarades tenant à conserver leurs petites habitudes et leurs routines. Vanille comprise. De plus, un changement d'élevage indiquait, à ses yeux, un problème avec l'hybride si grave que l'unique solution était de le placer autrepart. Vanille ne voulait pas se lier avec des cas à problèmes. Elle passa le reste du déjeuner à se demander si sa vie aurait été différente, si l’élevage au sein duquel elle avait grandi ne l’avait pas recueilli quelques mois après sa naissance.

Dix heures cinquante. La matinée avait été chargée. On avait pris les signes vitaux de la jeune fille, comme à chaque vendredi. Mesuré son changement de poids, repris ses mensurations. S’assurant que son état physique et mental était toujours à la hauteur des normes de l’établissement. Le vendredi, c’était au tour des hybrides dont les noms commençaient par U, V, W, X Y et Z de se soumettre à cet examen hebdomadaire. Puis on l’avait envoyé en cours, où elle avait eu test d’anglais, suivi d’une nouvelle leçon de couture et de travaux manuels. L’instituteur était un humain barbu bien fait de sa personne, quoiqu’un peu replet, engoncé dans une chemise trop petite pour lui. Il avait de larges mains usées par le travail qui faisaient pourtant des merveilles avec le fil et aiguille. Le menton posé au creux de sa main, l’air attentif sans l’être réellement, Vanille se demandait ce qui adviendrait d’elle si un homme comme lui devenait son maître, un jour. Elle passa la moitié du cours à rêver que l’instituteur la prenait dans ses bras; l’autre, à œuvrer de peine et de misère sur son travail pratique, car elle avait manqué la plupart des explications.

Dix-neuf heures et demie. Les cours étaient finis, les craies rangées, le dîner avait déjà été mangé. Vanille œuvrait afin d’enlever une tache persistante qui s’étalait sur le chemisier blanc de l’une de ses camarades de classe. Chaque soir, après avoir desservi la table, chaque hybride était chargé d’une tâche ménagère à accomplir avant de regagner son dortoir. Le vendredi, Vanille avait été reléguée à faire la lessive des uniformes de son dortoir. Si l’on avait été mercredi, elle aurait dû curer les cuvettes des trente-sept bols de toilette et des vingt-deux urinoirs au sein de l’établissement. Elle avait compté. La demoiselle avait hâte de regagner son dortoir, cependant. Après de longues, très longues minutes à essayer d’enlever la souillure du tissu – quel gâchis, tout de même – l’hybride élut de laisser tomber. Ce n’était pas son problème. Sa camarade n’avait qu’à faire plus attention, la prochaine fois. C’était elle que les humains allaient réprimander, pas Vanille. La jeune fille accrocha le chemiser taché sur la corde à sécher, puis passa aux chaussettes.

Vingt heures cinquante-cinq. Pour les treize ans et plus, c'est l’extinction des feux dans cinq minutes. Une humaine pénètre dans le dortoir où Vanille et ses camarades attendent debout, en ligne, toutes en habits de nuit. L’humaine compte les têtes, s’assurant que toutes étaient bien présentes et prêtes à se mettre au lit, puis leur fait signe de regagner leurs couches respectives. Elle sort de la pièce, ferme la porte derrière elle. La lumière s'éteint automatiquement une fois que les vingt-et-une heures sonnèrent, plongeant presque l’entièreté du bâtiment dans la noirceur. De brefs chuchotements perdurent durant quelques minutes, jusqu’à ce que toutes se résolvent à s’endormir.

Vanille avait seize ans. Dans un an, une autre année remplie de journées monotones comme celle-ci, elle entrerait en animalerie. Là-bas, une nouvelle routine bercerait ses journées, oui, mais une routine quand même.

Pseudo ☀ Squiggles
Âge ☀ Dix-neuf
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